Née à Kédange, le 6 novembre 1914 et décédé le 05 juin 1971 à Metz. Elle avait été interprète auprès de l’état-major américain, puis secrétaire infirmière à l’hôpital Sainte Croix avant de fonder la maison de repos « La sapinière » à St Julien les Metz. Madame KONTZLER a rassemblé des documents sur l’histoire locale et a écrit ces impressions et son vécu, tout au long de sa vie. Grâce à sa famille, nous pouvons lire aujourd’hui, comment elle a vécu la libération de Kédange le 17 novembre 1944.
Nuit du 14 au 15 novembre 1944 : Nous sommes dans la cave, maigrement installés, mais nous y avons même du feu ! C’est un progrès, car déjà il fait froid et humide. A minuit, le premier coup d’artillerie tombe dans la localité, puis à intervalle régulier, d’autres suivent. Maintenant, ils tombent à droite et à gauche, tout autour de nous. Dans la nuit sombre, des tanks passent en direction du front. Cet après-midi encore, le maire Allemand était revenu, il nous a affirmé sa pleine conviction dans la victoire finale, dans le succès des armées du Führer.
15 novembre 1944 : Je traverse la localité en ce matin de novembre, il ne fait pas très froid, le ciel et terne, les arbres dénudés, les habitations multiples aux fenêtres béantes, les murs crevassés, les toitures soulevées et dans cet ensemble, çà et là, quelques humains aux visages fanés par un long séjour dans les caves, se meuvent lentement….. Et à peine avons-nous gagné le logement pour y prendre quelques nourritures que les coups se répètent, vivement, on referme portes et fenêtres et on regagne la cave. Et dans cette attente de frayeur, nous prions, cette fois ensemble, notre premier chapelet en français depuis 4 ans !
16 novembre 1944 : il est 1h30, un coup d’artillerie à proximité de la maison. Cette fois nous allons dans la cave pour ne plus en sortir aujourd’hui. Nous passons toute la nuit encore à la cave, nous allons voir au dehors quelle est la situation : l’artillerie maintenant nous a dépassé, l’on entend nettement les MG américains dans le voisinage, on tire de toutes parts et en toutes directions. On apprend que les américains seraient dans la localité voisine. Vers 11 h du matin, je risque de traverser la localité encore pour y sauver les registres d’état civil à la mairie : les rues sont vides, tristes, affreuses ……
17 novembre 1944 : Nous nous réveillons ce matin dans la cave, après une nuit mouvementée et nous nous demandons anxieusement ce que la journée nous réserve. Je sors pour prendre l’air frais : il fait froid, un peu brumeux, de toutes parts, l’on tire ! On entend maintenant les coups de fusil, les mitrailleuses sur les routes principales menant à la localité. Il est 11h30 maintenant, on vient de faire sauter le pont à proximité de l’église, les autres ponts vont suivre bientôt. Cà et là, quelques allemands se trainent dans les rues, fatigués, désorientés……..
2h30 : Nous entendons le roulement des tanks, MG et tirs de tanks américains, la peur nous hante, mais la pensée de la possibilité de la libération pour aujourd’hui domine et nous grise, nous réconforte, nous sommes décidés à tout supporter pour voir cette minute si précieuse, si longtemps, si impatiemment attendue !!! …….
Nous sommes dans la cave, priant en français, l’oreille aux aguets, nettement nous entendons maintenant un tank qui stoppe devant notre maison, il reprend quelques mètres et stoppe à nouveau. Serait-ce vraiment le premier tank américain ? Ivre de joie, mais avec précaution malgré tout, je sors, traverse la cour et me trouve en face d’un tank énorme, en face du premier soldat Américain !!!
Heureux moment, inexprimable minute ! Impossible de décrire, mon cœur accélère le rythme de ses battements, et c’est tout ce que je puis faire. Je croyais sauter aussi haut que notre maison quand enfin, je verrais ce premier soldat tant attendu, mais je restais paralysée dans mes mouvements, terrassée par la joie ! « Good afternoon, enfin vous voilà », fut le premier mot que je lui adressais en anglais. En m’entendant parler sa langue, sa figure s’illumine, il se rapproche à son tour et nous engageons conversation. Je le verrais toute ma vie, présent devant moi, à l’arrière de cet énorme tank, grand, blond, bien bâti, une rangée de belle dents bien blanches, le regard frais et serein, le sourire sur les lèvres. Et à l’intérieur du tank, le second, plus petit, blond également, l’air plus rusé, plus risquant. Il me tend du chocolat et des cigarettes, premier gage de notre fraternité, de notre amitié ! Un second tank arrive, tout le monde sort de la cave, maintenant on les embrasse, on les applaudit. « Vive l’Amérique », s’écrient quelques-uns : nous sommes au comble du bonheur. Nous leur passons des bouteilles de cognac dans leurs embarquements, et bientôt, suivis de beaucoup d’autres, ils doivent continuer leur route en attendant que l’infanterie arrive.
La population est toujours dans les grandes caves de la localité, tous ensembles. A la tombé de la nuit, avec les deux premiers Américains, je rentre dans les caves ! Quelle réception, quelle explosion de joie ! Vous imaginez combien j’étais heureuse d’avoir la chance de présenter à la population les deux premiers représentants de notre Amérique libre !!!
18 novembre 1944 : Première aube libre, premier jour de lumière, après quatre années d’obscurité. Tout ce matin me semble beau, tout paraît sous un autre visage, tout est nouveau et appréciable, malgré les énormes cavernes dans les murs de nos habitations. L’air encore, est empli de cette odeur de poudre, de cette émanation néfaste que l’on ne connaît qu’au champ de bataille, les portes et les fenêtres béantes révèlent la lugubrité des heures passées.
Par Marie louise KONTZLER